

Agnès Riverin
Artiste interdisciplinaire ma pratique loge à plusieurs enseignes et les champs pictural, sculptural, photographique et littéraire en sont les outils de base. Cette approche hétérogène a toujours fait partie de ma démarche, elle en est le noyau central. Tout comme pour la mise en forme d’un poème, je travaille par addition et soustraction. Et le va-et-vient entre numérisation, manipulation de l’image par ordinateur, et impression, s’ajoute depuis quelques années à ma recherche.
Mon travail récent s’inscrit dans un ensemble où les sujets se racontent au moyen d’un langage poétique. Tout d’abord je photographie des artéfacts, des parties de mes tableaux et des éléments de la nature. Je varie l’angle de la prise de vue à plusieurs reprises selon la lumière ambiante. Des centaines de clichés seront alors pris du même sujet. Ensuite j’explore les combinaisons des paramètres numériques : teinte, tonalité, saturation, contrastes ainsi que divers modes d’applications pour le traitement de l’image. En découpant les formes, je les associe librement et les réorganise dans un tout cohérent. Les images originelles se démultiplient alors au profit d’espaces insolites d’où émerge un bateau, où git un oiseau. L’acte de peindre lui aussi se métamorphose, l’appareil photographique s’ajoutant au pinceau tout en conservant une dimension factuelle. Ces allers-retours entre les différents médiums d’expression sont pour moi une tension narrative révélatrice où le travail d’atelier se prolonge dans un processus précis et, par antinomie, aléatoire. Au fil des années, la photographie a enrichi ma pratique picturale. Dans toutes ces différentes manières que sont l’assemblage, le collage et l’hybridation, je cherche à développer des images où les mouvements de l’existence se superposent pour se fondre à nouveau dans un autre plan. Je m’interroge sur la mémoire, de ce qu’elle conserve d’enfoui ou de déposé. L’eau, ses mouvements nocturnes, porte des bateaux photographiés jadis par ma mère. Image scannée puis retravaillée, ils sont le reflet de cette mémoire transmise. La nature morte, dans mon travail, sa relecture, fait acte de métaphore sur la fragmentation du quotidien. Les vanités aux oiseaux témoignent du passage obligé de vie à trépas. Et l’interpénétration de la poésie, la mienne, se situe en aval ou en amont selon ce qui s’impose alors. Cette poésie s’inscrit à même les métamorphoses du tableau ou de l’estampe numérique. Ces migrations entre la littérature et l’image sont pratiquement invisibles ; les mots suivant les courbes, s’installent discrètement au sein des formes, jouxtent un espace ou transparaissent dans la matière picturale. Mon travail d’écriture a sa vie propre mais il entre en résonnance quand les mots insistent pour s’inscrire dans l’image. Ils ne sont pas choisis pour en élucider le sens mais par contrepoids, par attraction élective. Le langage poétique opère différentes translations, tant celles du patrimoine individuel que collectif. Et je transpose les archives personelles pour les ouvrir sur un nouveau registre dans ce que je nomme « Le temps des choses ». À travers lui un espace d’évocation complexe se construit et seule subsiste l’intention d’extérioriser l’inexprimable. Chaque tableau ou estampe cherche une proximité dans une multitude de chuchotements adressés à l’autre; la mémoire ne peut être, en définitive, qu’une fiction alors aussi bien raconter une histoire sincère parce que vécue.
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