Sylvie Adams

 

Ma pratique artistique est fondée sur la dualité. Elle réinterprète un héritage abstrait et le renouvelle de façon contemporaine en lui ajoutant des notions paradoxales et opposées d’organisation, de volonté et de réflexion. Laissant une grande part à l’intuition et à la chance, mon processus de création est cependant conscient, délibéré et structuré. Bien que mes références se rapportent à l'abstraction, mon imagerie renvoie à une construction spatiale tridimensionnelle et à un langage propre à l’espace figuratif, façonnés par un héritage architectural. De plus, en structurant mes toiles en différents plans, j’essaie de créer une perception de profondeur et une sensation d’espace dans laquelle se projeter.

Mes œuvres sont produites sur des périodes de plusieurs semaines, me permettant de développer l’image selon un mode action-réaction, dans une alternance mouvement-arrêt. Je travaille intensément puis recule pour presque méditer sur l'ensemble. J'investis la surface en ajoutant et retirant les matériaux, bâtissant mes compositions par couches plus ou moins transparentes. Ce processus de déconstruction et de reconstruction des couches peut s'apparenter à la destruction et à la reconstruction de l'identité.

Je procède méthodiquement par étapes. Je débute en opposant le noir et le blanc, puis j'ajoute des plans de nuances de gris, les marques volontaires se mélangeant au hasard des coulisses. Je suis fascinée par les zones de transitions ainsi créées et j'expérimente de façon intensive sur les variations possible du médium dans ces zones. Parfois elles sont très définies, parfois presqu'imperceptibles, parfois elles sont laissées complètement à la chance lorsque l'eau entremêle les couleurs. Je peins des couleurs en transparences, en formes douces ou marquées et parfois très colorées, et je termine avec des giclées. Je veux à la fois marquer les formes, brouiller les distinctions, décomposer les limites et ultimement abolir ces frontières.

Je m’applique à transmettre par le geste des états d’âme qui se veulent riches en émotions. Il en résulte des paysages aux formes paradoxales, aux frontières à la fois délimitées et niées. L’interaction entre les formes et les couleurs parle d’une vie intérieure où des pulsions contradictoires semblent provoquer des explosions et implosions. Les tonalités chromatiques vibrent à des fréquences précises, ouvrant un monde de sensibilité qui fait entrer le spectateur dans l’image sous le mode de la contemplation. Ils naviguent alors à travers des zones de transitions alternant entre violence et douceur. Cette ambivalence, entre le mouvement et l’arrêt, et qui traduit des tensions de toutes sortes, est voulue. J'invite le regard à évoluer à travers des scènes atmosphériques, au-delà de la matière physique, dans une temporalité suspendue, qui sollicite plus notre senti que l’intellect.

Mon œuvre veut évoquer une résonance, un écho, une conversation entre l'image et la personne qui le regarde.  Je cherche à provoquer une réaction viscérale face à l'œuvre mais aussi à utiliser la qualité évocative de l'abstraction pour faire ressortir les influences qui habitent la vie intérieure de chaque spectateur. Mon défi est de réaliser une œuvre qui se veut le reflet à la fois, d'une peinture intuitive qui est l'expression d'une émotion et, à la fois, d'une peinture volontaire et réfléchie qui veut créer une certaine représentation.

 

" La peinture abstraite possède des qualités de représentation auxquelles le cerveau humain ne peut s'empêcher de donner un sens"

-  Roberta Smith, "It's not dry yet", New Yorker Times, Art and Design section, March 26, 2010.